La VÉRITÉ sur les enfants 'pénibles'
- adetable
- 15 déc. 2022
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 6 mars 2023
Nota Bene : Même si mes brèves actuelles sont au sujet de l'éducation, j'en recommande la lecture à tous les adultes qui souhaitent mieux comprendre certaines causes de leurs propres fonctionnements, ainsi que les conséquences de notre éducation sur la société, et qui souhaitent contribuer à l'améliorer.
J'en recommande aussi la lecture aux thérapeutes qui effectuent du "re-parentage" (c'est-à-dire qui permettent à leurs clients ou patients de revivre des situations de leur enfance d'une façon plus juste) pour mieux comprendre ce qui a pu être destructeur dans l'éducation que leurs clients/patients ont reçue, et ce qu'il aurait été plus juste pour eux de vivre.
Dans mes précédentes brèves sur les conséquences néfastes de l'éducation des enfants dans notre société, j'ai promis de vous parler d'alternatives mieux-faisantes.
C'est parti ! :-)
Dans ce 1er épisode, je vais vous partager certaines découvertes étonnantes du penseur Danois Jesper Juul sur l'éducation et le comportement des enfants, qu'il nous partage au travers de ses livres, conférences, et son "laboratoire des familles".
Cliquez sur les flèches devant les titres pour lire le contenu :
Mais qui est donc Jesper Juul ?
J.Juul est un éducateur, thérapeute familial, auteur et conférencier international de renommée, dont les livres – notamment son best seller "Regarde... ton enfant est compétent" - ont fortement influencé de nombreux parents et professionnels de l'éducation à travers le monde. Son travail a été salué par plusieurs grands journaux européens, dont l'un l'a qualifié d'"un des douze penseurs, pionniers et visionnaires les plus importants de notre époque".
Je l'ai découvert grâce au merveilleux site "Apprendre à éduquer" que je vous recommande également car c'est un vrai coffre aux trésors sur l'éducation et les relations.
« Le regard novateur de Jesper Juul sur les relations adulte-enfant a très vite intéressé de nombreux parents et de nombreux professionnels de la petite enfance, de l'éducation et de la santé au Danemark et en Scandinavie. Au travers de ses nombreux ouvrages et interventions publiques, il a façonné, comme nul autre dans ces pays, le débat sur l'éducation des enfants ces vingt dernières années. Devenu incontournable dans les pays nordiques d'abord, Jesper Juul l'est devenu ensuite en quelques années en Allemagne et en Europe centrale où son discours et ses ouvrages ont également reçu un accueil très favorable.
(...) il a participé à la définition, la mise en place et au lancement d'un des plus ambitieux projets européens en matière d'éducation et de santé pour les enfants et les jeunes : Learning for well-being (trad: Apprendre pour le bien-être). Ce programme vise à promouvoir un changement de regard sur les enfants, (...) sur les apprentissages, (...) sur l'éducation et sur la santé.
Une charte des enfants 2030 a également été rédigée dans le cadre de ce programme ; elle est le reflet direct de sa pensée.
En 2012, Jesper Juul a enfin été sélectionné et honoré Entrepreneur social innovant par la fondation Ashoka, qui met en avant à travers le monde des personnalités reconnues comme porteuses d'idées novatrices et favorables au changement social durable et ô combien nécessaires sur notre planète aujourd'hui. » ~ David Dutarte, traducteur et responsable du Familylab France, en 2014
Les livres et découvertes de Jesper Juul sont – à mon sens - incontournables pour quiconque a la responsabilité d'éduquer ou d'élever des enfants (parents, et autres responsables d'enfants dans un cadre familial, scolaire ou autre).
J.Juul a donc contribué de façon importante aux transformations du système éducatif en Scandinavie ces 30 dernières années, et avant de vous révéler certaines de ses découvertes, j'ai à cœur de faire une parenthèse sur des différences fondamentales de ce système avec le notre, et leurs conséquences sur la société. C'est tellement révélateur ...
Parenthèse sur l'éducation au Danemark ( et sur le mondial de foot au Qatar )
Tout d'abord, le Danemark est un des premiers pays a avoir interdit le recours aux châtiments corporels sur les enfants, en 1997 (alors que la France ne l'a interdit qu'en 2019!)
Aussi, dans le système scolaire Danois, l'importance est donnée à l'expression des émotions, et ainsi au développement personnel des enfants et étudiants.
« La pédagogie danoise s’applique à dépasser les cadres stricts de l’enseignement frontal, les professeurs cherchant avant tout à solliciter le potentiel de développement de chaque élève, qui apprennent à leur rythme, dans une dynamique comparable au social learning. L’objectif est avant tout d’encourager les initiatives personnelles en développant la confiance en soi, et à extérioriser ses sentiments par le dialogue. Des “cours de gentillesse” existent ainsi depuis (plus de) 30 ans, visant à développer l’optimisme et l’empathie. » ~ article du site Educadis de 2019
Cette transformation de l'éducation au Danemark a eu un impact sur la société toute entière : les adultes ainsi éduqués dans leur enfance incarnent des valeurs plus humaines et plus justes, ils sont plus responsables, plus considérants et respectueux des autres et de leur environnement.
Il n'est pas étonnant que les Danois soient des pionniers en terme d'écologie, qu'il y ait très peu de violence au Danemark, et que leur équipe de football soit plus réactive et active que notre équipe Française face à la violence qui entoure l'organisation du mondial de football qui a lieu en ce moment même au Qatar !
Maintenant que vous avez envie d'en savoir davantage sur les découvertes de J.Juul qui révolutionnent l'éducation (et donc le développement psychologique de chacun), en voici une première (cliquez sur les flèches grises avant chaque titre pour lire le contenu) :
L'enfant a un sens inné de son intégrité ...
Selon J.Juul, l'enfant a un sens inné de son intégrité, c'est-à-dire qu'il sait lorsque certaines de ses limites (physiques ou psychologiques) sont dépassées, lorsque certains de ses besoins primaires ne sont pas nourris. Et il l'exprime.
C'est le cas par exemple du bébé qui repousse le sein de sa mère ou qui régurgite son lait lorsqu'il n'a plus faim, qui pleure parce qu'il a trop froid ou trop chaud, ou parce qu'il a sommeil.
...Et de la coopération avec les adultes !
Selon J.Juul, l'enfant a une autre compétence innée qu'il nomme la "coopération".
Selon lui, les enfants sentent lorsque quelque chose ne va pas dans le comportement / les émotions de leurs parents, et "coopèrent" avec eux pour les aider à prendre conscience de cela.
Cela vaut : ► que le parent soit "destructeur" (envers l'enfant ou d'autres personnes)
► ou qu'il soit "auto-destructeur" (envers lui-même, par exemple via : des addictions néfastes pour sa santé, des comportements à risque, le non respect de ses propres limites,...) En effet, quand le parent est "auto-destructeur" : l'intégrité de l'enfant – qui dépend totalement de ses parents (ou adultes référents) – est elle-même en danger, et l'enfant sent cela de façon innée.
L'enfant aide alors ses parents soit en copiant leurs comportements, soit en faisant tout l'inverse, pour les alerter de ce qui ne va pas. Bien sur, le cerveau "cartésien"(cortex pré-frontal) de l'enfant n'étant pas suffisamment mature avant ses 7 à 10 ans environ, l'enfant n'est pas en capacité d'analyser et réfléchir aux situations, il s'agit d'un comportement qui serait vraisemblablement piloté par le cerveau "reptilien"(tronc cérébral) ou le cerveau "mammalien"(cerveau limbique), donc pas du tout réfléchi, contrairement à la croyance de certains adultes que l'enfant "fait exprès pour nous embêter"!
Voici 2 exemples donnés par J.Juul dans son livre "Regarde... ton enfant est compétent", qui vous permettront de mieux comprendre comment l'enfant "coopère" :
1er exemple : « De nombreux parents ont vécu le "mystère" suivant : le congé de maternité est terminé et l'enfant doit aller pour la première fois dans un jardin d'enfant ou une crèche. Les parents découvrent rapidement qu'il y a une différence selon celui qui le dépose le matin. Quand la mère le dépose, l'enfant est malheureux, et quoi qu'elle fasse pour le calmer, cela ne marche pas. Quand c'est le père qui dépose l'enfant, cela n'arrive pas. Tout se passe bien, sans complication. Cette expérience conduit généralement à d'innombrables discussions entre les parents pour savoir si le jardin d'enfants ou la garderie sont adaptés ou non, ou bien si la mère le "couve" trop, ou si le père n'est pas trop peu concerné. Dans la plupart des cas aucune de ces hypothèses n'est juste. L'explication est toute simple : l'enfant pleure avec sa mère car cette dernière (et elle a raison) n'est pas encore totalement prête à se séparer de son enfant. Elle est inquiète, nerveuse, triste ou malheureuse, mais elle a peut-être depuis plus de trois mois étouffé ces sentiments parce que la situation financière familiale ne permettait pas que l'un des parents reste à la maison pour s'occuper de l'enfant. Même si la mère (ou le père) n'est pas consciente de ces sentiments, l'enfant les remarque – et il les copie. En d'autres termes, l'enfant coopère en donnant à sa mère une réponse compétente qui en langage adulte serait : " Chère mère, il y a quelque chose qui ne va pas entre nous – un ou deux points ne sont pas clairs. J'attire sur eux toute ton attention et je compte bien sur toi pour te charger de les régler pour que tous les deux nous puissions nous sentir bien. " »
2ème exemple : « Dans un camp de réfugiés croate, une jeune mère va consulter l'équipe psychosociale du camp parce qu'elle a des problèmes avec son plus jeune fils de 7 ans. Il est impossible, entêté, geignard et collant – en un mot désobéissant et pas du tout désireux de coopérer. La famille se compose en plus d'un fils plus âgé de 12 ans. Le père a été tué il y a six mois sur le front en Bosnie et le reste de la famille est éparpillé un peu partout dans des camps de réfugiés et des centres d'accueil de pays différents. La mère décrit son fils aîné comme serviable, mûr et désireux de coopérer. À l'école les professeurs le jugent renfermé mais intelligent et travailleur. La famille a subi d'énormes bouleversements et de lourds dommages : ceux qui restent ont perdu leur maison, leurs amis, leur école, leur famille, leur père et mari. La mère a choisi de se comporter par rapport à ces pertes comme 9 parents sur 10 le font spontanément : pour protéger les enfants, elle refoule son chagrin et pleure seulement de temps en temps quand elle est seule. C'est un choix aimant et plein de bonnes intentions, qui malheureusement est aussi malsain pour elle-même et les enfants, qu'il est habituel. L'aîné coopère avec sa mère en faisant comme elle. Il refoule son chagrin, perd sa joie de vivre, son corps s'effondre, il tourne en rond avec des mouvements un peu mécaniques, le visage fermé, un peu pétrifié. Il soulève la compassion et l'intérêt chez les adultes qu'il rencontre. Il a une empathie tacite avec sa mère qui les rassure tous les deux et leur donne de la force. Il est une copie directe de l'attitude extérieure de sa mère. Le petit de 7 ans fait tout le contraire. Il est celui de la famille qui s'applique à exprimer son chagrin, son désarroi, son aspiration à un échange, sa frustration et son déni. Il cherche à exprimer les sentiments que sa mère cache. Mais sa mère ne peut pas en même temps se fermer à ses propres sentiments et s'ouvrir à ceux de son fils. En effet leurs sentiments sont beaucoup trop semblables. De son côté, il voudrait bien coopérer comme son grand frère, mais il n'y arrive pas. L'expression de ses sentiments est à moitié étouffée et frustrée. Il soulève alors non pas la compassion et l'intérêt de ceux qui l'entourent, mais au contraire l'impuissance et l'irritation. Il n'est pas "grand et raisonnable comme son frère. Il "bébé et désobéissant". La mère coopère et renonce à son propre équilibre pour ce qu'elle considère le mieux pour ses enfants. Les deux enfants coopèrent et renoncent à leur équilibre, mais c'est au final le petit qui détient la clé pour des relations plus saines dans la famille. C'est lui qui montre la voie. La mère a eu l'intelligence de comprendre qu'elle avait besoin d'aide. Elle a vu le signal et l'a pris suffisamment au sérieux pour en parler avec d'autres adultes. Elle a rejoint un groupe de parole de femmes dans la même situation et a eu ainsi la possibilité de travailler son chagrin, ce qui a aidé son aîné à pouvoir exprimer aussi le sien et son cadet à reprendre pied. »
Dans ces 2 exemples, les parents concernés ne sont pas "destructeurs", mais le refoulement de leurs propres émotions est une forme d'auto-destruction. L'enfant le sent et exprime ce que son parent réprime.
Quand l'intégrité de l'enfant est bafouée
Si, malgré l'expression directe (cri, pleurs, plaintes...) ou la "coopération" de l'enfant, le parent (ou l'adulte référent) ne comprend toujours pas que l'intégrité de l'enfant est bafouée, l'enfant finira :
► soit par se soumettre. Il n'essaiera plus du tout de faire entendre ses limites et besoins bafoués à ses adultes référents, et se soumettra à leurs injonctions, même si elles mettent en danger son intégrité.
► soit par adopter des comportements de plus en plus dérangeants
« Quand un enfant ressent l'attention des adultes envers ses propres limites, il apprend à faire attention aux limites des autres quand il s'y est heurté quelques fois. Lorsque ses limites sont enfreintes par les adultes, l'enfant réagit en forçant celles des autres ou en se refermant sur lui-même et en devenant autodestructif. » ~ extrait du livre "Me voilà! Qui es-tu?"
Voici un exemple donné par J.Juul dans son livre "Regarde... ton enfant est compétent", dans lequel le parent a un comportement destructeur envers l'enfant :
« Pierre, 3 ans et demi, était devenu un problème pour le personnel encadrant et les autres enfants du jardin d'enfants : il s'était mis à mordre ses camarades de jeu quand il était frustré ou quand on ne faisait pas selon sa volonté. Les parents de Pierre étaient tous deux impliqués et d'accord pour réaliser des entrevues avec un conseiller familial. (...) Pierre était présent pendant les entretiens. (...) Les conversations n'avaient abouti à aucun résultat, étant donné qu'aucun des adultes ne pouvait envisager la moindre explication concrète au fait que Pierre morde. Après un ou deux mois, Pierre s'est remis à mordre dans une proportion qui a alarmé les adultes et un nouvel entretien a été organisé. Cette fois-ci Pierre a, de manière évidente, très mal supporté la situation. Dés le début, il s'est montré "difficile" – il demandait quand est-ce qu'ils rentreraient à la maison, voulait dessiner mais pas avec ces "stupides couleurs", voulait être sur les genoux mais seulement si l'adulte lui promettait de ne pas parler en même temps, etc. Le père a joué le chef dans une tentative de faire coopérer Pierre. Il l'a fait à chaque scène avec douceur et souplesse au début, puis brusquement, il a élevé la voix chaque fois un peu plus en disant : "Maintenant ça suffit!", "Arrête!", "Maintenant tu écoutes, Pierre!", Le conseiller familial a attiré son attention sur ce phénomène et il a répondu tout à fait spontanément et avec une expression coupable sur le visage : "Oui, c'est vrai. Lise (mon épouse) le dit bien que j'ai toujours un ton mordant !" Ils ont tous éclaté de rire en même temps – y compris Pierre – et le comportement frustré de Pierre au jardin d'enfants était éclairci. Le père a expliqué qu'il avait grandi dans un milieu marqué par les "punitions payées comptant" mais que, grâce à sa femme, il s'était rallié à un autre point de vue sur l'éducation des enfants. Mais il était, comme lui-même l'exprimait un "tout débutant", et quand il était frustré, il en revenait à la même méthode que celle utilisée par son propre père. L'employé du jardin d'enfants qui connaissait le mieux Pierre a pu apporter l'éclaircissement supplémentaire : c'était exactement ce qui se passait pour Pierre. S'il voulait un jouet, une place précise à table ou d'autres choses, il essayait avec une courte négociation verbale, puis, si cela échouait, alors il mordait. (...) La mère de Pierre a proposé (à son mari) que peut-être, au lieu de "mordre" Pierre, son mari dise : "Maintenant je ne sais plus quoi dire. Je vais prendre une pause pour y réfléchir." Durant les semaines suivantes, il s'est avéré que c'était une bonne manière pour le père de tacler son problème. D'une part, en règle générale, il trouvait de "bonnes" solutions après avoir pris sa pause pour réfléchir, et d'autre part, cela avait été contagieux pour Pierre quant à la manière dont il gérait ses propres frustrations. Il ne mordait plus les autres mais il allait bouder dans un coin, jusqu'à ce qu'il trouve quelque chose d'autre à faire. Petit à petit, comme la compétence comportementale de son père a grandi, Pierre a grandi lui aussi. Quand je rencontre des familles comme celle de Pierre, cela m'effraie souvent de penser aux nombreuses années où les adultes avaient été d'accord pour dire au sujet d'enfants comme Pierre qu'ils "avaient des problèmes sociaux", "des problèmes de relation avec les autres enfants", etc. Pas parce que c'est un tableau faux, mais parce que c'est un tableau tellement superficiel. Les relations sociales avec d'autres enfants n'étaient pas le problème de Pierre, c'était le signal de fumée qu'il envoyait pour attirer l'attention sur sa douleur. »
Cet exemple met aussi en lumière la capacité de l'enfant à sentir les personnes en présence desquelles il peut utiliser certains comportements dérangeants ("coopérer") pour enfin être pris au sérieux. Il n'est en effet pas rare qu'un enfant soit difficile uniquement à l'école, ou uniquement avec un de ses 2 parents, celui avec lequel il se sent le plus en confiance pour passer son "message d'alerte". Dans cet exemple, Pierre ne parvenant pas à se faire comprendre de ses parents, et son intégrité étant trop menacée, sa compétence de coopération s'est révélée devant d'autres personnes.
Voici maintenant un 2nd exemple dans lequel le parent a un comportement auto-destructeur (extrait du livre "Regarde... ton enfant est compétent") :
« Louise a 9 ans et est une enfant très difficile qui non seulement demande à ses parents des choses impossibles à faire mais qui depuis peu se conduit aussi d'une façon extrêmement destructrice. Elle se taille par exemple les doigts avec des ciseaux, se plante un couteau dans le ventre et se provoque des saignements de nez en s'y enfonçant une aiguille. Elle a un grand frère avec lequel elle se compare souvent. Elle a souvent demandé à ses parents : "Pourquoi ne m'aimez-vous pas autant que vous aimez Thomas?". (...) Les parents 'avaient tout essayé!" Ils avaient cherché à être sensés et raisonnables. Ils avaient cherché à lui donner ce qu'elle réclamait. Ils avaient consulté d'autres adultes, qui leur avaient conseillé d'instaurer quelques limites de bon sens. Mais Louise continuait infatigablement. (...) Si nous examinons la situation de Louise depuis sa naissance, il est évident qu'elle a manqué de ce sentiment de sécurité fondamental et si essentiel pour le développement et l'épanouissement des nourrissons. (...) La plupart du temps sa mère se sentait sur la défensive et elle était la seule pour trouver une solution à son désarroi (NB: J.Juul explique plus haut dans le texte que le père était absent du foyer familial car surchargé de travail pendant 2 ans, que la grossesse et l'accouchement ont été très compliqués, et que le lait de la mère ne venait pas pendant l'allaitement, tout ceci a contribué au sentiment d'insécurité de la mère et donc de Louise). Louise coopérait avec sa mère par une attitude qui disait clairement: "Chère maman, comme tu sembles un peu désemparée et incertaine sur la façon dont tu dois t'occuper de moi, laisse-moi t'expliquer quelque chose. Je protesterai quand tu feras quelque chose que je n'aimerai pas et je réclamerai quand je voudrai quelque chose!" (NB : j'ai choisi de raccourcir cet exemple pour ne pas surcharger ma brève, mais Jesper Juul y explique également les mauvaises interprétations que peuvent faire les adultes au sujet de la "jalousie " qui ne sont pas du tout appropriées. Je reviendrai sur le sujet de la "jalousie" dans une future brève, car cela concerne également les adultes, et que notre compréhension de ce 'sentiment' est en général complètement fausse.) "(...) revenons aux premières façons de coopérer de Louise. Elle est incroyablement "exigeante", comme on a l'habitude de dire : elle réclame une attention constante de la part de son entourage, elle demande toujours l'impossible comme une certaine sorte de glace en cornet qui n'est pas de saison, tous les soirs elle appelle bien ses parents de son lit 10 ou 15 fois. Tout le temps qu'elle passe avec ses parents est consacré à réclamer tantôt ci, tantôt ça, et aux drames qui en résultent et s'en suivent infailliblement quand ses parents soit ne peuvent pas, soit ne veulent pas céder à ses désirs, Louise ne tolère pas le "non"! Ce genre de comportement est de plus souvent mal interprété et on conseille aux parents, comme ceux de Louise, d'apprendre à "mettre des limites", à "s'imposer", à dire "non", à être "cohérents", ainsi de suite. Le problème est que ces méthodes pédagogiques ne peuvent qu'effleurer le problème, comme dans le cas de la "jalousie". Le problème de fond est que les enfants ne savent pas ce dont ils ont besoin. Souvent il savent seulement ce dont ils ont envie. Cela ne veut pas dire que les enfants sont incompétents dans ce domaine. Cela veut dire qu'ils manquent de recul et des capacités de langage qu'ils sont obligés d'attendre de leurs parents. Ils ne peuvent pas dire ce dont ils ont besoin, d'un point de vue existentiel, mais ils peuvent sentir quand ils ne le reçoivent pas. Il peuvent, par contre, envoyer aux adultes un message sous forme de comportement "difficile", de frustration ou bien de passivité et de totale résignation. Louise a donc expérimenté deux choses : elle est d'abord devenue exigeante dans une tentative décalée de dire qu'il y avait quelque chose qui lui faisait défaut. Puis elle est devenue plus directe et plus verbale pour dire qu'elle ne se sentait pas comme ayant de la valeur. (...) Ses parents et elle usaient toute leur énergie, leur créativité et leur amour réciproque pour construire une relation plus harmonieuse, mais sans résultat. Et pourtant – pas complètement sans résultat. Le fait que Louise lutte avec autant d'énergie et que ses parents, avec autant d'énergie qu'elle, essaient de résoudre le problème est une base de loin bien meilleure pour la progression et l'épanouissement que si les deux clans avaient renoncé et instauré une distance froide entre eux. Comme troisième et dernière tentative de sa part, Louise a commencé à se faire souffrir. "C'est douloureux pour moi d'être avec vous... je saigne!" a-t-elle dit. Là, ils ont entendu ce qu'elle disait. Au cours de conversations avec la famille, il est apparu que la mère avait subi pendant toute son enfance de graves atteintes physiques de la part de son père. Elle avait – pour faire court – coopéré en devenant une petite fille douce et facile, toujours disponible aux besoins des autres, mais elle n'avait pas appris à connaître et exprimer ses propres besoins. Cela signifiait qu'elle et Louise devaient maintenant parcourir une nouvelle fois le même chemin d'apprentissage – ensemble ! La mère devait, à un âge un peu plus avancé, apprendre à ressentir et exprimer ses besoins et ses limites pour que sa fille puisse apprendre à ressentir et exprimer ce dont elle avait besoin., à un âge plus tendre. Louise est celle qui, finalement, a donné à sa mère le courage d'analyser l'abus dont elle avait été victime dans sa famille et elle est ainsi devenue, sur le plan profondément existentiel, pleine de valeur pour la vie de sa mère – et pour le couple formé par sa mère et son père. Cela n'aurait pu jamais se produire si le problème avait été classé comme un "problème d'éducation". Dans le meilleur des cas, une stratégie pédagogique aurait réussi et Louise aurait été plus facile pour son entourage. La confiance en soi des parents aurait augmenté, mais le prix à payer aurait été une irrémédiable perte d'estime de soi pour Louise. »
Nous avons donc tout faux sur les enfants 'pénibles' !
Dans les précédents exemples, les enfants ont adopté des comportements que les adultes jugeront de "mauvais" parce qu'il n'ont trouvé aucune autre façon d'être pris au sérieux sans se soumettre à l'atteinte (ou le risque de menace) faite à leur intégrité.
Malheureusement, les adultes vont souvent dénigrer les enfants qui choisissent cette solution (adopter des comportements dérangeants plutôt que de se soumettre).
Et, concernant les enfants qui finissent par se soumettre, il est triste de constater que dans ce cas les adultes pensent que ce sont des enfants sages, et qu'ils sont contents de cela. Au contraire, l'enfant qui réagit en se soumettant a fini par mettre ses besoins, ses limites et ses aspirations 'sous un tapis', et par répondre aux ordres de ses adultes référents même s'ils mettent en danger son intégrité. Les enfants ainsi éduqués ne peuvent pas développer leur propre identité, ne sont plus à l'écoute de leurs ressentis et émotions, et vont développer inévitablement des pathologies physiques ou des troubles psychologiques tels que la non estime de soi, la dépression, des addictions ou autres comportements pour se couper de leurs émotions. (Je vous invite à relire ma précédente brève sur les VEO, et leurs conséquences). Ils deviennent alors également des "victimes" de choix pour les abuseurs et manipulateurs - parce qu'ils sont devenus trop tolérants face à l'irrespect de leur propre intégrité - et vont le plus souvent choisir des partenaires de vie violent.e.s physiquement et/ou psychologiquement.
« Un enfant blessé dans son intégrité ne cesse pas d'aimer son parent, il cesse de s'aimer lui-même » ~ J.Juul
« Au cours des générations, nous avons réagi face à cette sorte de signaux en enseignant aux enfants et aux jeunes comment "bien se conduire", avec pour résultat que les plus habiles à coopérer ont réprimé leur souffrance profonde et l'ont dissimulé là où elle a créé un déséquilibre qui a fini par altérer leur existence et leur a donné d'eux-même une image faussée. » ~J.Juul
Alors, si vous aimez vos enfants, et que vous n'avez pas conscience que leur intégrité est menacée, vous auriez donc intérêt à ce qu'ils choisissent l'autre solution : celle qui vous dérange le plus !
À condition que vous soyez suffisamment intelligent pour comprendre que cela est la conséquence d'un dysfonctionnement qui vous échappe dans votre relation. Et que vous ayez suffisamment d'humilité pour demander de l'aide à des personnes compétentes pour vous aider à comprendre de quoi il s'agit!
De plus, en dirigeant votre attention sur la recherche de la vraie raison de son comportement, vous pourriez mettre en lumière certains de vos propres fonctionnements inconscients qui vous desservent. Le comportement de votre enfant est donc une magnifique chance – en plus d'améliorer son bien-être et votre relation – d'améliorer votre propre vie !
N'est-ce pas là un magnifique cadeau que les enfants "difficiles" nous font là ?
Mais, comme je le disais précédemment, les adultes vont souvent (dans notre société actuelle) les culpabiliser, les punir, et les soumettre à des violences, aggravant ainsi la mise en danger de leur intégrité !
N'est-ce pas triste que des enfants qui veulent en fait prendre soin de nous, d'eux-même et de notre relation, soient ainsi maltraités ?
Une autre conséquence grave à punir ces enfants, c'est qu'il perdent alors davantage confiance aux adultes, et peuvent rester bloqués dans leurs comportements dérangeants qui deviendront alors très problématiques voire dangereux à leur tour, une fois devenus adultes eux-mêmes!
« Quand on abuse des enfants, ils apprennent à abuser. Si on les en empêche avec de la violence, en général ils attendront d'être adulte pour abuser les autres. » ~ extrait du livre "Me voilà! Qui es-tu?"
Alors, si nous ne voulons pas que les futurs adultes se soumettent et deviennent des marionnettes pour les intentions malsaines d'autrui, qu'ils deviennent passifs face aux violences, et en mauvaise santé, ni qu'ils ne deviennent asociaux, égocentrés et dangereux, il faut prendre au sérieux l'intégrité des enfants et les messages qu'ils tentent de nous communiquer !
« Quand les enfants réagissent aux abus en abusant à leur tour, ce n'est pas pour se venger sur les parents. Ils le font parce que l'abus fait partie de la culture familiale, que les parents montrent leur affection de cette façon et qu'ils ont totalement confiance dans le jugement de leurs parents.
Une partie de ce que nous avons appris à considérer comme des moyens éducatifs bons et affectueux est, en fait outrageante pour les enfants. Ceci, beaucoup de parents l'ont ressenti, mais ils se sont endurcis de peur de se sentir irresponsables. À une époque où l'objectif justifiait les moyens, et justement par amour pour les enfants, les parents se sont déconnectés de leur cœur ; c'est un paradoxe malheureux.
Ce paradoxe rôde toujours, juste sous la surface, chez bien des parents, et influence leurs actes lorsqu'ils sont incertains ou frustrés. Il y a une formule magique qui peut le faire disparaître : soyez attentif aux réactions de l'enfant et prenez-les au sérieux. » ~ extrait du livre "Me voilà! Qui es-tu?"
Si, après avoir lu tout cela, vous pensez à certains comportements de vos enfants, et que vous vous posez la question de votre propre responsabilité, de savoir si votre enfant vous alerte ainsi sur quelque chose qui ne va pas dans votre relation : ce que vous ressentez dans cette situation peut être un très bon départ de piste à explorer en thérapie, et je ne peux que vous recommander la méthode de psychothérapie "Internal Family Systems" que j'utilise avec mes clients, qui est parfaite pour cela.
Mais vous vous demandez aussi sans doute : "ok, c'est bien joli, mais comment éviter d'élever des "enfants-rois"?" Votre interrogation est complètement légitime ! Et je vous apporterai justement la réponse dans ma prochaine brève où je partagerai d'autres découvertes de J.Juul sur l'éducation et les comportements des enfants ! ;-)
Pour vous tenir informé.e de sa publication, abonnez-vous à mes pages Facebook, Instagram ou Linkedin. D'ici là, je vous laisse sur une dernière citation de J.Juul, extraite de son livre "Voulons-nous vraiment des enfants forts et en bonne santé?" (2014) :
" Ce que j'ai appris, c'est que la majorité des parents et des professionnels veulent aujourd'hui encore la même chose que ce que voulaient mes propres parents et enseignants : des enfants et des élèves gentils, dociles, et obéissants, prêts à s'adapter et à se conformer. La différence est qu'ils aimeraient y parvenir de manière beaucoup plus douce, plus affectueuse et moins violente qu'il y a soixante ans. Une des raisons à cette contradiction semble être qu'ils veulent pour leurs enfants une qualité de vie qu'ils n'ont, personnellement, pas encore eu l'occasion de ressentir. Ils veulent que leurs enfants s'épanouissent et développent leur propre potentiel sans avoir personnellement fait l'expérience de ce que cela signifie, et cela limite bien sûr leurs compétences en vue d'accompagner leurs enfants. Mon objectif ici n'est pas de critiquer ces parents et pédagogues. Je veux simplement illustrer le fait qu'ils se sont mis au défi d’œuvrer pour quelque chose pour laquelle ils n'ont été préparés ni durant leur enfance ni au travers de leur propre éducation, ce qui est en fait une entreprise bien courageuse.
Le raisonnement est identique en ce qui concerne la question la plus importe de toutes : Qu'est-ce qui caractérise un bon leadership parental/adulte? »
...la suite au prochain épisode ;-)

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